Le projet de loi sur les droits d’auteur, et celui sur le Bureau marocain des droits d’auteur (BMDA), ont été adoptés jeudi dernier en conseil de gouvernement. Abdelhakim Karmane, président de l’Alliance Marocaine pour la propriété intellectuelle (AMPI) analyse les deux textes de loi pour Le360.
Le nouveau projet de loi sur les droits d’auteur et droits voisins a été adopté en conseil de gouvernement. Qu’apporte-t-il de nouveau?
Le nouveau projet de loi sur les droits d’auteur et droits voisins, numéro 66.19 modifiant et complétant la loi en vigueur numéro 2.00 régissant le secteur de la propriété littéraire et artistique, vient renforcer la protection et la promotion de nouveaux genres qui n’étaient pas prévus par cette loi, et inclure de nouvelles dispositions relatives aux aspects manageriels et procéduraux d’élargissement de couverture légale et de mise en œuvre technologique et institutionnelle permettant de garantir une meilleure protection de ces contenus dans l’univers numérique.
D’un autre côté, ce projet de texte de loi prévoit aussi des dispositions particulières en vue de protéger et gérer les droits économiques et moraux relatifs aux oeuvres musicales, audiovisuelles et oeuvres visuelles. Les modifications et annotations susmentionnées, visent aussi à une mise en adéquation avec les accords internationaux, et avec la convention de Marrakech relative aux facilités conférées aux personnes à besoins spécifiques, handicapées et non-voyants, d’accès aux oeuvres protégées.
D’un autre côté, le nouveau texte préconise également des dispositions particulières visant l’inclusion, la couverture et le renforcement juridique des droits économiques et moraux, tout en activant le droit de suite des Arts plastiques et visuels. Ces nouveaux droits et dispositions relatives aux Arts plastiques et visuels ont fait l’objet d’une attention particulière de la part du législateur en matière de définitions et des procédures juridiques relatives aux droit de suite, le service du partage du contenu via Internet ainsi que le droit d’exploitation des contenus et des oeuvres visuelles protégées sur le net. Voilà, en gros, ce que le projet de loi apporte comme innovation et annotation. J’apprécie la démarche rigoureuse, productrice et efficiente adoptée pour mettre en lumière ces deux textes de loi, celle n°66.19, modifiant et complétant la loi en vigueur numéro 2.00, et la loi 25.19 portant transformation du BMDA en un organisme de gestion collective des droits d’auteur et droits voisins.
L’autre projet sur le statut du bureau marocain des droits d’auteurs adopté également en conseil de gouvernement qui propose un nouveau statut. Qu’est-ce qui change?
Effectivement, le conseil de gouvernement du jeudi 14 novembre dernier, a amendé et adopté deux textes de loi qui sont, à mon sens, d’une importance stratégique pour l’émancipation du secteur de la propriété littéraire et artistique, la valorisation de la créativité et des créateurs ainsi que pour soigner et redonner plus de clarté à l’image du Maroc, en tant que pays en essor, lancé dans un processus de développement multiforme. Ces projets de loi permettront surtout une meilleure mise en adéquation avec les normes internationales, afin d’asseoir et de consolider nos infrastructures institutionnelles, législatives managériales dans le secteur des droits d’auteur et des droits voisins.
Il est à noter que nous manquions depuis 1965, date de la création du BMDA, d’un organisme de gestion collective des droits d’auteurs et des droits voisins au Maroc. Cela veut dire que nous avions pratiqué une gestion ‘déléguée’ a la SACEM, c’est là un certain «amateurisme» en matière de collecte et répartition des droits, donc nous avions un retard d’adéquation avec les standard de gestion collective des droits de 54 ans.
En effet, le nouveau projet de loi numéro 25.19 sur les droits d’auteur et droits voisins vient combler un vide juridique et institutionnel en termes de clarification du statut de l’ex-BMDA, en le transformant en un organisme de gestion collective des droits économiques et moraux des créateurs et leurs ayants droits. Cela dit, le nouveau texte va permettre le passage d’une situation de fragilité administrative, de médiocrité de collectes des royalties, de l’amateurisme en termes de répartition et de gestion des affaires générales des adhérents et les ayants droits, vers une ère de bonne gouvernance administrative, de transparence et redditions des comptes, d’équité par rapport aux bénéficiaires des droits au niveau des genres et a l’échelon national sur la base du respect de la loi et des procédures en vigueur. Bref, la sortie tant attendue de la zone de turbulences, du flou, de l’emprise de egos politiques et individuels vers une normalité légale et efficacité managériale est une victoire de la raison pour le bien-être de l’ensemble des corps et acteurs dans le secteur Artistique et culturel, voire une victoire pour notre chère patrie, qui va asseoir pour de bon l’un des plus importants piliers du développement de l’art et la culture marocaine, avec toutes ses richesses, ses affluents et ses composantes.
Que pensez-vous de ces nouveautés proposées dans ces deux nouveaux projets de lois?
Personnellement, je suis comblé. Car après des années de militantisme et de plaidoyer sur toutes les sphères, tant professionnelle, qu’académique, de sensibilisation lors de débats public et médiatique, de production et de publication de littérature et de bien d’autres sacrifices de carrière, de temps et d’énergie auxquels j’ai consenti corps et âme, pour servir une cause juste, honorable et crédible, même si elle semblait pénible, aux yeux d’autrui. Pour moi, c’était et ce sera un privilège et un honneur de militer et contribuer positivement a l’émancipation des droits littéraires et artistiques, à l’amélioration des conditions économiques et du bien-être des créateurs, à l’équité et la solidarité en termes de bénéfices des industries culturelles créatives et à la revalorisation de l’image civilisationnelle de notre Mère et glorieuse patrie le Maroc à la culture millénaire. En un mot, je me sens rassuré. Il y aura toujours de l’espoir tant qu’il y a une haute bienveillance royale qui a cristallisé les souhaits et fortifié les attentes de l’ensemble des composantes du secteur, en rendant cette réforme possible, ô combien nécessaire, et plus encore, stratégique.
Le projet concernant le Bureau marocain des droits d’auteur se serait inspiré du modèle algérien…Pourquoi l’Algérie comme exemple?
En fait oui, et non. D’une part, le projet concernant le bureau marocain des droits d’auteurs et des droits voisins, s’inscrit dans un processus de mûrissement d’un ancien projet qui n’a pas pu voir le jour depuis le début du troisième millénaire, portant l’intitulé d’ «Office Marocain de Droit d’Auteur et des Droit voisins» l’OMDAV, et qui s’inscrivait dans une catégorie d’établissements publics de gestion des droits des créateurs, adoptés par un certain nombre de pays arabo-africains, et encouragés par l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l’OMPIC, tels que l’office National du droit d’Auteurs Algérien, l’ONDA. Cette génération d’établissements publics implantés sous diverses formes et appellations au Sénégal, en Tunisie, en Burkina Faso et en Egypte. et dans bien d’autres pays, a connu une évolution notable en termes d’acquisition d’expertise, d’ancrage et d’émancipation, de structuration et d’amélioration de leurs chiffre d’affaire.
Cela dit, le Maroc, même s’il s’est intéressé à une époque a ces expériences, tout en appréciant les démarches entreprises par nos frères voisins algériens, en élaborant une structure publique a l’instar de celle de l’ONDA, mais ce projet n’a jamais pu aboutir pour diverses raisons.
D’autre part, le nouveau projet portant transformation du statut juridique de l’ex-BMDA en un organisme de gestion collective des droits d’auteurs et des droits voisins, tout en préservant son appellation classique BMDA- DV, constitue a mon sens une innovation typiquement Marocaine.
A travers cette lecture de la nouvelle configuration de cet organisme de gestion collective, le Maroc a opté pour une approche innovante par cette combinaison intelligente. C’est pour cela, d’ailleurs, que le projet de loi a bien stipulé que le nouvel organisme jouit de la personnalité morale et d’une autonomie financière.
Pour conclure, le nouveau projet de loi a pris ses distances avec la génération d’établissements publics dont l’ONDA fait partie. Enfin, la vision stratégique qui a motivé et a fait aboutir le nouveau statut de l’organisme de gestion collective des droits d’auteurs au Maroc, vise simultanément l’ancrage, et l’intégration aux niveaux régional et continental sans pour autant perdre de vue l’ouverture à l’universalisme, à l’émancipation et l’échange du savoir, a l’adaptation au rythme des évolutions technologiques et de la coopération internationale.
Maintenant que ces deux projets de lois ont été adoptés, que faudrait-il faire pour que ces projets soient concluants?
Les vrais défis restent à relever par l’autorité ad hoc. Il s’agit de consentir à beaucoup d’efforts et d’attention en ce qui concerne la mise en place de la nouvelle structure de gestion et la mise en application des nouvelles normes, et surtout un accompagnement méthodologique, pédagogique légale et légaliste afin de faire aboutir les objectifs escomptés par cette réforme qualitative.
Il n’ya pas de magie, ni de métaphysique quand on veut aller de l’avant, prendre les bonne décisions qui s’imposent au cours du processus d’amorcement des reformes stratégiques tels que ces deux grands projets. D’abord il s’agit d’en finir avec les démarches «amateurs» qui finissent, dans le meilleurs des cas, en des schémas défaillants et entraveront sans doute l’évolution saine de l’institution, l’émancipation quantitative et qualitative des ressources humaines et financières, et par conséquent, désorienteront le sens et la pertinence des reformes.
L’Etat doit fédérer les efforts en faisant preuves de rationalité, d’intégrité intellectuelle afin d’oeuvrer collégialement et d’une manière positive et selon un approche participative productive et consciente afin de réussir la noble mission de cette réforme historique par son contenu, stratégique en timing, et émancipatrice par son ampleur.
La réforme des droits d’auteur est longue et compliquée. Qu’est-ce qui pourrait garantir sa réussite?
Personnellement, je suis de nature optimiste, et donc je ne considère pas cette mission présumée compliquée, est inaboutissable. A cet effet, il convient de d’insister sur l’obligation de capitaliser les efforts consentis qui ont finalement abouti a l’adoption de ces deux textes de loi très importants et tant attendus, et surmonter nos craintes et nos hésitations vis-à-vis du changement et des réformes.